Maridan-Gyres

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Le plus beau souvenir d’enfance

Le plus beau souvenir d’enfance

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Elle était seule. Âme perdue dans un univers qu’elle ne comprenait pas. Ses parents, pensait-elle, ne l’aimaient pas. Souvent, au cœur de la nuit, elle les rêvait découvrant son corps sans vie. Elle ne parvenait pas à imaginer leur peine.

Pourquoi n’avaient-ils aucune affection pour elle ?

 

Sa mère lui avait dit un jour qu’elle était le résultat d’un accident et elle portait cela comme une croix. Elle aussi ne s’aimait guère. D’ailleurs personne ne l’aimait. Comment pourrait-on aimer quelqu’un comme elle ?

 

« Tu es laide, ma pauvre fille ! Qu’ai-je fait au Bon Dieu pour mériter une enfant telle que toi ? »

 

Elle restait stoïque. Ne disait jamais rien. Elle avait appris à laisser passer l’orage. Quelquefois, à la sortie des classes, elle voyait des mamans embrasser leurs enfants. Sa mère ne l’embrassait jamais. Elle en avait déduit que c’était sans doute parce qu’elle l’avait trouvée dans une poubelle.

 

Des années plus tard, elle découvrirait qu’ils lui disaient cela pour rire ! Mais elle n’avait jamais ri à ces mots. Son unique « beau » souvenir d’enfance était lié à des vacances passées en compagnie de sa grand-mère paternelle. Sa mamy chérie qui était venue la chercher pour passer quelques jours avec elle, loin de ses parents et de son frère.

Ces huit jours avaient ensoleillé tout le reste de son enfance. C’est l’îlot où elle se réfugiait dès que les heures étaient trop sombres.

Le matin, sa grand-mère la réveillait par un doux baiser sur sa joue, puis suivait un bon gros baiser sonore qui achevait de la sortir du sommeil. Une main douce et légère caressait ses cheveux et elle ouvrait les yeux sur le visage tendre aux yeux bienveillants.

 

Les yeux de sa mamy lui disaient « je t’aime, » de façon bien plus explicite que des mots. Puis, elle lui amenait une bassine pleine d’eau chaude. La bassine et le broc étaient en porcelaine écrue avec de minuscules fleurs bleues. Sa grand-mère lui tendait alors un gant savonné, et elle devait se laver comme une grande.

Deux yeux attentifs veillaient à ce qu’elle n’oublie pas de frotter derrière ses oreilles. Puis sa grand-mère vidait l’eau par la fenêtre, et elle versait l’eau limpide et tiède du broc dans la bassine et l’enfant se rinçait. Enfin, sa mamy l’entourait dans un grand drap de bain et la frictionnait jusqu’à ce que la moindre goutte d’eau ait disparu.

 

Tout en la séchant vigoureusement, elle ponctionnait son joli minois de petits baisers légers comme des plumes. Elle aurait aimé rester dans les bras aimants jusqu’à la fin de sa vie, mais cela finissait toujours. Car sa mamy ne manquait jamais de projets pour embellir ses journées.

 

Venait enfin le moment du petit déjeuner avec tartines beurrées et confitures de mamy. Une fois la table débarrassée et la vaisselle faite, elles partaient toutes les deux dans les bois faire les récoltes de fraises des bois ou de mures. Elles rentraient invariablement en  passant par la ferme de Marie-Louise, leur voisine, qui ne manquait jamais de rajouter quelques pommes au panier de fruits.

 

Vers onze heures, elles nettoyaient les fruits, épluchaient les pommes, et sortaient la grosse marmite en cuivre dans laquelle allait bouillir la confiture. Mais avant, c’est les bocaux de verre qu’elles faisaient bouillir dans la marmite. Elles les posaient à l’envers sur un torchon propre, le temps que la confiture se fasse. Elle aimait prendre la grosse louche de sa mamy et elle touillait avec entrain les ébullitions des fruits. Enfin, quand la purée de fruits avait épaissi, il était l’heure de la mettre en bocaux. Là c’est la grand-mère qui s’y collait, car la confiture était bien chaude et elle craignait que l’enfant se brule.

 

Son ultime plaisir était alors de prendre le bout de pain que sa grand-mère lui tendait et elle pouvait ramasser la pulpe de fruits qui restait attachée à la bassine.

 

L’après-midi, sa grand-mère la laissait rejoindre les enfants du village et à eux tous, ils se partageaient trois vélos, sans freins, pas très sécurisés, mais qui dévalaient les collines comme personne. Oh bien sûr, il arrivait qu’elle tombe et qu’elle rentre les genoux écorchés, mais là encore, elle ne recevait comme punition qu’une pluie de bisous. Les huit jours avaient passé beaucoup trop vite.

 

Trois ans après ces vacances mémorables, sa grand-mère s’éteignait, victime d’un cancer généralisé. Tandis qu’elle suffoquait de chagrin à cette perte irréparable, elle ne put pas lui dire adieu, car la veille de cette disparition, elle gisait sur un lit d’hôpital. Elle allait avoir treize ans sans sa mamy chérie, mais la lumière de ces huit merveilleux jours ne s’est jamais éteinte. Aujourd’hui encore, quand l’heure est trop sombre pour respirer normalement, il lui suffit de fermer les yeux et elle retrouve la chaleur des bras aimants.

Cette lumière ne l’a plus jamais quittée, elle brille au fond de son cœur à jamais.

 

Maridan 28/09/2015



30/09/2015
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