Maridan-Gyres

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Atelier 6 - 2020 - sujet 3 Les mots de Montpellier

Le plus important n’est pas de paraître, mais d’être. Cela elle ne l’avait compris qu’après un cancer du sein à cinquante ans. William Shakespeare écrivait en son temps « être ou ne pas être, telle est la question ? », mais ne passons-nous pas à côté de notre vie à essayer de  plaire  à tous et sans discernement ?

Certains sont à l’aise  en toutes circonstances, d’autres ne trouvent jamais leur  place, ce fut souvent son cas  !

 

Foudroyée par l’annonce de son cancer, elle était là, seule dans cette salle  où son corps reposait. Il avait fait place nette avant de partir, et elle le soupçonnait d’avoir préparé ce départ. Dans sa chemise verte, elle avait trouvé tout ce qu'il lui ’avait dit pour s’occuper de ce qui serait nécessaire à la femme de sa vie.

 

Le  produit  d’une vie d’économies, mais aussi tous ses petits travers. Des cartes grises à son nom, ou pas, des relevés de comptes de plus de 30 ans, qui ne servaient à rien d’autre qu’à encombrer des tiroirs et qui auraient dû finir au feu depuis bien longtemps.

 

Mais dans tout cela, pas trace de la promesse qu’il lui avait faite, celle de lui dire enfin… les mots qu’il espérait, qu’il attendait avant son départ.

 

Il avait sacrifié ses deux enfants pour l’amour de cette femme qui avait voulu des enfants par caprice pour avoir la fille dont elle rêvait et qu’elle n’avait pas eu. Alors vous aviez continué à être un couple, mais pas trace d’amour pour le seul fils qui vous restait et qui avait été sacrifié jusqu’au dernier jour et ce même après qu'il lui ait arraché la promesse de prendre soin d’elle. Il n’avait même pas eu la délicatesse d’offrir à son fils qui aujourd’hui encore s’occupait, à sa place, de la femme qui l’avait torturé toute sa vie durant et qui le méprisait aujourd’hui encore, ces trois petits mots qui auraient tout réparé.

 

Avait-il le droit, jusqu’à son dernier souffle, de lui refuser cet apaisement ? Non, il avait préféré lui arracher le cœur une dernière fois.

 

Son  esprit  de   liberté lui criait de lui hurler dessus et de rejeter sa promesse, comme il l’avait fait.

 

L’amour est une vertu qui se conjugue au pluriel, plus on en donne, plus ou en reçoit. Mais lui et elle, n'étaient que centrés sur eux et leurs amis de beuverie. Ils n’avaient pensé qu’à eux, à leurs désirs égoïstes et ils avaient sacrifié leurs deux fils sur l’autel de leur prétendu amour. L’amour est une richesse inépuisable, il l'avait fait graver sur sa tombe, pour qu'ils n’oublient jamais. Ce n’est pas un sentiment médiocre qu’on ne consacre qu’à un seul être en se moquant du reste du monde, surtout quand ce monde ce sont deux pauvres gosses rejetés, repoussés, sans aucun remord.

 

Son fils, seul survivant, avait passé sa vie à attendre, en vain, qu'il lui dise qu'il l’aimait, mais il en avait été incapable. Il n’avait aucune valeur à ses yeux, sauf quand il avait compris qu'il allait mourir, et là encore, il avait osé le mettre à contribution. Toute sa vie, il avait juste été le larbin qu'ils pouvaient utiliser sans bourse délier. Quand il avait commencé à travailler, il avait du payer une pension deux fois plus élevée que celle des clients de leur hôtel et tout cela en continuant de le harceler, de lui hurler dessus et de le mépriser.

 

Il y avait trois petits mots à lui dire « je t’aime ! » mais il les lui avait refusés. Une fois de plus, il n’avait pensé qu’à elle, laissant son fils le cœur en miettes et l’âme en déroute. Un môme inconsolable sacrifié sur l’autel de leurs égoïsmes. Lui, il allait poursuivre sa route. Là où il se trouvait à présent, il avait retrouvé son premier fils, sacrifié lui aussi pour leur plaire. Celui-ci, ils avaient réussi à le tuer.

 

Le hasard  ne fait pas toujours bien les choses, mais en ce qui concerne son fils, il avait mis sur sa route une femme aussi blessée que lui et leurs cœurs s'étaient reconnus. Ils étaient deux gosses martyrisés, ils étaient devenus une famille aimante et ce malgré toutes leurs tentatives pour les séparer.

 

Leur fils l’avait réparée, reconstruite et elle avait tenté d’apaiser son cœur brisé. Elle avait côtoyé de nombreux chefs d’entreprises. Certains se prenaient pour des dieux, d’autres étaient des caractériels, des tyranniques ou des manipulateurs, mais bien souvent ceux-là étaient des carpettes chez eux. Il était de ceux-là, grande gueule devant les autres, mais chiffe molle devant elle. Lâchement, il n’avait jamais défendu ses enfants... Sans doute parce que lui n'en voulait pas.

 

Si seulement, il avait observé la mine de ses gosses lorsqu'il revenait du travail, mais non ! Année après année, méthodiquement vous aviez continué à les casser, à les humilier. Elle savait si bien grimacer pour l’attendrir et lui, pauvre sot, il les battait sans raison, parce que son fils à la question stupide qu’elle lui posait un jour « tu préfères ton père ou ta mère » avait répondu sans hésiter « mon père » (et pour cause, elle hurlait tout le temps.) En rentrant du  travail, ce soir là, il avait massacré son fils à coups de ceinture parce qu'il avait osé dire qu'il l'aimait plus qu’elle ! L'horreur  !

 

Ils avaient été des parents indignes qui n’avaient que deux passions : leur amour et le fric. Sa femme, elle pouvait comprendre, mais leur amour pour l’argent, elle n'avait jamais compris. Il avait faussé toutes leurs relations avec les autres.

 

Les   symptômes  de leurs sévices étaient inscrits dans la chair de l’homme qu'elle aimait et jamais il ne pourrait s’en défaire. Aujourd’hui enfin, ils sont libres de s' aimer et d’aimer leurs enfants et petits-enfants.  Le ciel est un espace de réparation et quand ils se reverraient, car elle sait que ce sera le cas, il devrait dire ces mots qu'il n'avait pas eu le courage de dire, car il n'aurait pas le choix, le ciel n'aime pas les tortionnaires.

 

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Ce texte plein de colère, elle l'avait écrit après son décès, elle était terriblement déçue. Et puis quelques mois plus tard, en rangeant sa maison, son fils avait trouvé ce bout de papier déchiré qu'il avait caché sous tout un tas de cochonneries. Il avait écris « je vous aime, prenez soin de ma petite femme. » Elle avait compris que cela avait dut être très difficile, pour  lui , d’écrire ce mot.

Son fils, bien que triste qu'il ne lui ait pas écrit personnellement avait quand même tenu à faire lire ce mot à sa femme. 

 

Merci de l’avoir écrit, même si elle ne comprenait pas pourquoi il l’avait si bien dissimulé. Elle savait que cela avait tout de même fait du bien à son mari de le lire. Alors, elle avait souhaité qu'il trouve la paix, elle ne lui gardait aucune rancune, son cœur n’avait jamais eu de place pour ce type de sentiment, alors elle le remercia de l’en avoir délivrée.

 

Sa petite femme est en forme et bien soignée, certes, ils avaient dû la placer car son état avait bien failli la tuer. Mais aujourd'hui enfin, elle était sereine et joyeuse dès qu'ils la voyaient. Le plus étrange, c'est qu'elle s'était attachée à cette femme si différente de la peste qui les avaient torturés pendant plus de trente ans. A présent, ils la gâtaient en permanence, repectant ainsi la promesse faite au père.

 

La femme qu’elle est devenue est agréable et sympathique.  Tous  leurs amis l’ont abandonnée. Les Alzheimer n’intéressent personne et c’est bien dommage. Alors repose en paix, nous continuerons à prendre soin d’elle et qui sait, lorsque nous nous retrouverons, car nous ne doutons pas que cela arrive, nous partagerons enfin un repos bien mérité.

 

Maridan 23/05/2020



25/09/2020
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