Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Je me souviens

Je me souviens de l’odeur suave et chaude de l’édredon que ma grand-mère posait sur moi, pour me protéger du froid. Pour moi, ce simple geste d’amour contenait des trésors de félicité. Soudain, j’étais plongée au cœur d’un univers de tendresse et de chaleur qui réjouissait mon petit corps d’enfant si souvent malmené.

 

Je me souviens de cet été là, où en partant me promener un soir sur la plage avec des copains de camping, j’avais croisé ce beau garçon, blond avec de grands yeux bleus qui portait en son regard toute la détresse du monde. Il m’avait donné pour la première fois l’envie de décharger quelqu’un de ses peines.

 

Je me souviens de cet homme, grand, fort, si peu bavard mais que tous respectaient comme s’il avait été un grand homme. Il était puissant, large d’épaules, un ventre généreux vestige de nombreuses gourmandises que nous partagions, chez lui, autour d’un grand verre de Perrier. Ces gâteaux avaient la saveur de l’orange et étaient recouverts d’une merveilleuse pellicule croquante et sucrée que j’adorais. Cet homme-là me parlait de son enfance, des grandes steppes de la Russie, des bolcheviques qui étaient venus tout détruire et qui l’avaient éloigné de sa chère famille. Cet homme-là était mon grand-père, un mystère pour moi, mais surtout l’objet d’une admiration sans bornes que je lui vouais sans en connaître pour autant les raisons profondes. Était-ce ce courage face eux nazis qui l’avait conduit à sortir des camps de Dachau et d’Auswitch les terribles dessins des persécutions nazis. Dessinés par ses camarades détenus dans les camps, ils racontaient comment leurs bourreaux les mutilaient sans jamais faire preuve de la moindre humanité. Il avait risqué cent fois sa vie pour que ces dessins soient un jour connus de tous.

 

Je me souviens avec désespoir du jour où mon père prêta ces dessins, que je considérais comme mon héritage, à l’un de ses amis. Cet ami à son tour les prêta à sa copine du moment. Quand ils se quittèrent, les dessins disparurent avec elle. Je ne lui ai jamais pardonné cet outrage qui pour moi était une trahison envers son père qui avait risqué sa vie pour eux, et pour tous ceux qui n’étaient pas rentrés de ces camps de la mort.

 

Je me souviens du jour où tes lèvres ont esquissé ton premier « je t’aime ». Ce jour-là tout mon horizon s’est dégagé et je suis née à notre vie commune. Pas une fois tu n’as démenti ces paroles, pas une fois je n’ai eu le sentiment que ton amour avait perdu de son intensité et aujourd’hui encore trente-sept ans après notre rencontre, la caresse de ton regard suffit à me rendre heureuse.

 

Je me souviens du poids des mots qui tuent, je me souviens de tous ces coups de poignard plongés dans mon petit corps d’enfant. De toutes ces nuits où je rêvais ma mort dans l’espoir de surprendre dans vos yeux de la tristesse pour cette enfant que vous aviez laissée sur le bord de la route.

 

Je me souviens de vos colères qui sont devenues les miennes et qu’à présent j’expulse comme un venin trop longtemps absorbé.

 

Je me souviens de leur haine qui à chaque instant me poursuivait, sans savoir pourquoi j’en étais l’objet. Ce n’est plus qu’un lointain souvenir dont je n’ai plus à me soucier, vous avez disparu à jamais, enfouis dans les limbes de la haine qui vous nourrissaient et grâce auxquelles je n’ai plus à supporter votre odieuse présence.

 

Je me souviens de toi, feu follet rieur et charmeur qui distribuait de l’amour comme d’autres distribuent de l’eau aux assoiffés, je me souviens de ta générosité d’âme et de cœur, et je regrette chaque jour de ne pas avoir eu la chance de voir ton cher visage se flétrir. Tu étais la lumière de cette famille qui n’a pas su exister après ton départ. Je pense encore à toi tu vois.

 

Je me souviens de chaque mot, chaque coup, chaque vacherie qui m’ont blessée et je vous pardonne, qui que vous soyez ou ayez été. Vous m’avez rendue plus forte, plus endurante, plus douce avec les autres. Vos saloperies m’ont conduite à garder fièrement ma ligne de conduite : j’aime les autres comme j’aurais aimé que vous m’aimiez. Vous n’avez pas su saisir votre chance ;tant pis pour vous!

 

Maridan Gyres

 

 

 



20/11/2013
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