L’escalier face à toi a été bâti sur la falaise. Cela lui donne une beauté froide face à cette mer qui ne l’est pas. Tes pas t’ont conduite au bord du précipice où tes yeux se sont emplis d’une beauté incomparable.
Les flancs abruptes se perdent dans l’eau bleue de la Méditerranée, cette femme cruelle qui a ravi tant de marins aux épouses restées à terre.
Les flots se fracassent avec violence sur les rochers, dessinant en d’imposantes éruptions virevoltantes des robes de mariées immaculées.
Tes yeux observent le phare tel un mirador posé, là-bas, au loin sur la dernière avancée rocheuse. Tu t’y vois avançant toujours, tu longes ces pentes escarpées où à chaque pas tu pourrais te perdre dans l’immensité qui t’appelle en bas. Tu fais de nombreuses haltes pour photographier cette nature sauvage et indomptée qui t’enchante.
Le vent violent de ce jour soulève les vagues avec autant d’ardeur que tes jupes de coton. Il te caresse les jambes en de douces rafales sensuelles qui t’aident à supporter la soleil torride de ce matin printanier.
Le maquis qui t’entoure te livre les fragrances du thym, de la ciste, de l’origan et de la myrte sauvage ; mais aussi l’odeur exquise des embruns marins.
Le phare te guide sentinelle vigilante qui accompagne tes pas. Lui qui à première vue te semblait si petit a pris de l’ampleur. Il grandit à vue d’œil maintenant.
Lentement, à ton rythme, tu es arrivée au belvédère. Epuisée par la chaleur, la longue marche et le manque d’eau, tu te sens épuisée mais le cœur gonflé d’une joie primale à l’idée de l’incroyable moisson d’images que tu vas rapporter de cette promenade bucolique.
Impossible de quitter cet endroit sans avoir fixé sur la pellicule le souvenir ébloui de ces camaïeux de bleus, d’ocre, de rouges, de verts, de jaunes. Palettes idéales des Impressionnistes. A cet instant précis tu te rêves aquarelliste pour pouvoir fixer sur le papier ces feux d’artifices ensoleillés.
Quel dommage te dis-tu que tes photos ne puissent rendre également le bouquet odorant de cette nature qui t’émerveille. Tout ici t’invite à te poser, à cesser cette course en avant. Vers où, vers qui, je ne sais. Mais ton guide est encore loin !
Pour mesurer le temps passé, tu te retournes. Bonifacio qui n’était, il y a une heure à peine, qu’une grosse muraille surmontée de quelques toits d’immeuble est réduite à présent à une portion congrue posée sur une énorme falaise de craie érodée par la mer. Tu distingues clairement les couches successives qui s’élèvent jusqu’au ciel. Sur ces strates d’argile, la citadelle a rétréci et les immeubles au sommet sont apparus. C’est toute une ville qui se révèle à toi.
Depuis ton départ, deux autres falaises se sont interposées entre la ville et toi. Depuis combien de temps marches-tu en humant l’air et en photographiant toujours devant toi ?
Tu devrais faire demi-tour ! Mais comment le faire quand tout ici te retient prisonnière, comme envoûtée. Des goélands passent au-dessus de ta tête, comme pour te sortir de ta contemplation. La mer petit à petit a été envahie par toutes sortes d’embarcations, curieuses d’observer de près les assauts répétés des vagues contre la roche.
Dans cette lutte primitive, ce n’est pas le rocher le vainqueur, c’est la mer qui gagne jour après jour, mois après mois, année après année, sur l’imposante citadelle qui se croyait invincible.
Et toi qui as continué à marcher pour atteindre l’imposant phare blanc qui est devant toi à présent, tu t’aperçois, en te retournant, que la gracieuse Bonifacio est condamnée. Son museau ne repose plus sur le sol rocheux. La mer a rongé la falaise comme un chien ronge son os. Un jour prochain c’est tout un pan de la haute ville qui sombrera dans les flots turquoise de la mer cannibale, souillant pour un temps les eaux translucides qui t’invitent à la baignade.
Alors les mots te viennent pour célébrer à jamais l’ineffable beauté de la ville insouciante qui se croyait immortelle.
Maridan Gyres - 24/06/2013