Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

4 - suite de destins croisés

Début de l'histoire : http://maridan-gyres.blog4ever.com/presentation-des-quatre-personnages

 

Tony

Et ce sentiment, il vit avec depuis son enfance, il a reconnu ce vide en elle. Il repense à sa douce Lucie. Il a soudain une furieuse envie de l’appeler, d’entendre sa voix. Mais il sait qu’il ne doit pas. Il a acheté une carte sur la croisette. Un joli coucher de soleil sur la mer. Il s’empare d’un stylo et pose quelques mots sur la carte. Elle lui a dit de ne pas appeler, mais elle n’a pas dit de ne pas écrire. Il postera sa carte demain à la prochaine escale.

 

« Mon cher ange, tu me manques au-delà des mots. Je sais que j’ai déconné, mais je vais m’employer à te le faire oublier. Ce soir, j’ai croisé une femme au bar, et j’ignore pourquoi, mais elle m’a fait penser à ma mère. C’est son regard qui m’a troublé. Pas au sens où on l’entend habituellement. Troublé parce que j’ai croisé dans ses yeux, la même douleur que la mienne. Elle aussi, elle a perdu quelqu’un, cela m’a paru évident une fois qu’elle a eu disparu. Demain, j’essaierai d’en savoir un peu plus sur elle. Ne sois pas jalouse mon cœur, elle a aussi l’âge d’être ma mère. Je t’aime, un jour sans toi ne vaut pas la peine d’être vécu et il m’en reste six à tuer avant de te retrouver. Je t’aime Tony »

 

Voilà, il n’a pas la place de rajouter quoi que ce soit. Il colle le joli timbre qu’il a acheté. Ce sont des détails, mais il sait combien elle est sensible à ce genre de choses. Elle le lui a si souvent dit, et jusqu’à présent, il n’avait jamais rien fait qui lui prouve qu’il avait entendu. Même pas une petite carte pour ses fêtes, anniversaires et autres sottises du même genre. Il lui faisait toujours de jolis cadeaux mais il les lui offrait sans fioritures. Ça aussi, ça devait changer s’il voulait la reconquérir.

 

Demain, il cherchera un cadeau digne d’elle, une attention qui puisse atteindre son cœur si fragile. Il se couche sur sa couchette et commence à imaginer leurs retrouvailles. C’est ainsi que le sommeil le surprend.

 

Patachou

 

Les mots ont entamé une folle farandole sur son cahier. Il ne réfléchit pas. Il a ouvert la boîte de Pandore et tout se déverse inexorablement sur les pages blanches du premier cahier qu’il noircit depuis plus de deux heures à présent.

 

Il ne réfléchit pas aux mots qui se déversent. Ça vient, c’est tout ! Alors, il laisse le flot impétueux se poser sans chercher ni à se relire ni à comprendre ce qu’il note. Tout cela, ça viendra plus tard.

 

La cloche du déjeuner vient de retentir, il aurait bien laissé courir, mais voilà la faim est plus forte que le reste. Pourtant, il sent que fourmillent encore en lui moult idées. Il est un peu sonné, comme il aurait pu l’être s’il avait marché des heures. Tandis que ses muscles se dénouent et se remettent en marche, il prend ses lunettes, son portefeuille, et il se dirige vers la porte de sa chambre. Il a la main sur la poignée quand soudain, venue d’on ne sait où, une idée jaillit lumineuse et si riche…

 

Sans hésiter, il a reposé veste, portefeuille et lunettes de soleil et il retourne au bureau où son cahier est resté à l’attendre. Il y passera le reste de sa première journée à bord. Depuis qu’il s’est mis à écrire, cela ne s’arrête plus et cela lui fait un bien fou. Pas de pause possible quand l’inspiration est là. C’est un désir impérieux auquel, il ne parvient pas à échapper et de toutes façons, il ne tiens pas à y renoncer. Pour la première fois de sa vie, il fait enfin ce qui lui plaît, et personne n’est là pour lui dire d’arrêter.

 

Véronique

Enfant elle était solitaire et vivait dans un désert dénué d’affection. Elle n’avait pas le souvenir d’avoir eu des copains ou des copines. Vers treize quatorze ans les choses avaient un peu évolué, c’était lié à sa transformation, elle était devenue plutôt jolie fille.

 

Ses parents s’aimaient au-delà des mots. Il n’y avait guère de place pour elle ou son frère. Ils avaient donc grandit en périphérie, sans faire trop de bruit, car les coups tombaient assez facilement. Elle avait appris à vivre en silence. Souris grise que personne ne remarquait jamais. Elle avait souvent eu l’impression que sa vie ne valait pas grand-chose. « Si je mourrais », pensait-elle souvent, « je ne manquerais à personne ».

 

Sa mère était belle, si belle… Trop belle sûrement. Son père l’avait mise sur un piédestal et la traitait comme une déesse. Alors elle naviguait hors de leurs portées. Les déesses n’ont que faire des mômes.

 

Souvent à la sortie de l’école, lorsqu’elle voyait les mamans de ses camarades de classes embrasser leurs filles, sur les joues, sur le front, certaines sur les lèvres, elle en crevait d’envie et de chagrin mêlés. Quelquefois, une mère soulevait sa fille et la faisait tourner dans les airs avant de la reposer avec un bisou. Surgissait alors, invariablement, la même question, terrible, « Pourquoi ne m’aime-t-elle pas ? »

 

Pourquoi sa mère ne l’embrassait-elle jamais ? Combien de fois avait-elle rêvé être malade, mourante, juste pour voir un regard inquiet dans les yeux maternels. Elle l’imaginait penchée sur elle, baignant son front, comme elle l’avait vu faire par des actrices de cinéma sur l’écran noir du nouveau téléviseur. Elle la voyait la bordant tendrement dans son petit lit, comme le faisait si bien Nounours avec Nicolas et Pimprenelle.

 

Malheureusement la réalité la rattrapait à chaque fois et plus cruelle était la douleur du manque. Malade, elle avait le droit à des récriminations, un bol de soupe, et au lit. Alors elle se mettait à pleurer et invariablement la sanction tombait : « pleure, tu pisseras moins ! »

 

Elle avait soif d’être aimée. Vraiment, comme on le voit au cinéma, mais à chaque fois que cela finissait par arriver, celle perdait l’objet de son amour. C’est sans doute pour cela qu’elle était terrorisée à l’idée d’être mère à nouveau. Comment pourrait-elle aimer son enfant, elle qui n’avait jamais reçu d’amour ? Pour l’enfant qui poussait en elle, elle voulait être certaine d’être à la hauteur. Ce voyage devait lui apporter la réponse.

 

Elle en est là de ses réflexions lorsque soudain, retentit le signal du déjeuner. A midi, elle est invitée à déjeuner à la table du commandant de bord. Cela l’ennuie, car elle va devoir faire preuve d’élégance. Elle fouille dans l’armoire où elle a rangé ses affaires. Elle sort le joli tailleur pantalon écru qu’elle a acheté il y a deux mois, pour fêter une jolie augmentation de salaire. La première en dix ans de bons et loyaux services. Là aussi, on ne peut pas dire qu’elle ait été gâtée. C’était avant d’apprendre qu’elle attendait un enfant.

 

Après une douche rapide, elle passe un joli caraco en soie de couleur taupe, puis elle enfile son tailleur pantalon. Soulagée, elle remarque qu’elle peut encore boutonner le pantalon, mais pour combien de temps ? C’est un mystère auquel elle ne veut pas penser.

 

« Allez soyons folle ? »

 

Elle prend sa trousse de maquillage, un cadeau de ses collègues de travail pour son anniversaire. C’est la première fois qu’elle va l’utiliser. Lentement elle s’installe devant la mini coiffeuse de sa cabine. Elle tente de poser un peu de fard sur ses paupières, en suivant avec application la notice que lui a rédigée sa seule amie, Cathy. Le khôl à l’intérieur de l’œil, le rimmel sur les cils, et enfin le rouge à lèvres qu’il faut ensuite tamponner avec un mouchoir pour qu’il ne déborde pas. Elle détache ses longs cheveux, les brosse avec énergie et enfin, elle se regarde dans le miroir.

 

Elle est surprise. « Je ne suis pas si laide que cela ! »

 

Elle a du mal à s’attribuer la jolie silhouette qu’elle découvre. Depuis combien de temps n’a-t-elle pas prêté attention à sa personne ? Elle l’ignore, mais depuis qu’elle est enceinte, elle soigne davantage ses repas. Les résultats sont là. Son corps s’est affiné, sa taille est à nouveau bien marquée, et son visage a repris les couleurs d’une vie saine. Et puis autre avantage non négligeable de sa grossette, elle a enfin de la poitrine.

 

Mais voilà que reviennent les questions sans réponses : où est son premier enfant ? Qu’est-il devenu ? Pourrait-il me pardonner et apprendre à m’aimer, comme moi, je n’ai jamais cessé de l’aimer ?

 

Une bouffée d’émotion l’étreint à nouveau et pour éviter que ce qui menace de l’engloutir, elle sort de la cabine et va d’un pas rapide rejoindre le restaurant du bord.

 

Aujourd’hui est un nouveau jour.

 

La suite :  http://maridan-gyres.blog4ever.com/5-destins-croises-tony



02/11/2020
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